Tribunes

Le monde du travail face à l’éclipse de l’avenir

L’édito de Rémy Oudghiri

Le 6 juillet 2023, le cabinet Arthur Hunt Transition organisait un petit déjeuner-conférence sur le thème de la « crise du sens au travail ».

4 actifs sur 10 ont aujourd’hui l’impression que leur « travail a de moins en moins de sens » (Sociovision, Observatoire France, 2022). Cette proportion atteint même 5 salariés sur 10 parmi ceux qui exercent un métier exposé au public. De quoi cette « crise de sens » est-elle le nom ?

Les principales raisons sont aujourd’hui documentées. Parmi les plus connues, on peut citer :

  • La faible rémunération eu égard à l’engagement dans certains secteurs ou pour certains postes (éducation, santé…),
  • La pénibilité des conditions de travail dans les métiers exposés au public (hôpitaux, hôtellerie, restauration…)
  • La recherche d’un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle,
  • Le décalage entre les modes traditionnels d’autorité et les nouvelles aspirations nées de la culture des réseaux sociaux et du télétravail,
  • Etc.

D’un point de vue sociologique, cette crise du sens est également une illustration saisissante de la modification de notre rapport au temps. Au début du XXIème siècle, une personne disposant d’un emploi pouvait se projeter avec une certaine confiance dans l’avenir. Le développement d’Internet promettait croissance économique et progrès démocratique, la mondialisation offrait de nombreuses opportunités aux acteurs économiques et les avancées de la science et de la technologie dessinaient une meilleure qualité de vie et une meilleure santé pour tous. Bref, chacun pouvait légitimement penser que la situation dans le monde allait s’améliorer et lui avec. Un actif pouvait espérer qu’en sacrifiant une partie de sa vie personnelle – en travaillant d’arrache-pied ou en effectuant des heures supplémentaires – l’avenir le lui rendrait. Il pouvait tabler sur une meilleure situation matérielle, plus de responsabilité, un travail plus intéressant, etc.

Aujourd’hui, ce calcul est devenu plus incertain que jamais. En une vingtaine d’années, l’avenir s’est éclipsé et, avec lui, les images rassurantes du progrès. Crise écologique, réchauffement climatique, « mondialisation malheureuse », retour de la guerre sur le vieux continent, risques de pénuries, pandémie du covid, percée des intelligences artificielles et leurs menaces sur l’emploi, retour des régimes autoritaires, montée des extrêmes… Le monde est durablement entré dans l’incertitude. « Où est passé l’avenir ? » s’exclamait l’anthropologue Marc Augé dès 2008.

Dans ce contexte, sacrifier son présent en espérant un meilleur avenir apparaît comme un pari hasardeux. Conséquence logique : on ne veut plus sacrifier son présent à son avenir, ni sa vie personnelle à son travail, car nul ne sait de quoi demain sera fait. Au contraire, il vaut mieux profiter de la vie hic et nunc, cela sera déjà cela de pris. D’où les nouvelles attentes qui s’affirment dans le monde professionnel en faveur d’un meilleur équilibre vie personnelle/vie professionnelle. D’où ces refus de s’engager dans des professions aux conditions de travail difficiles. D’où ces démissions difficilement compréhensibles si l’on conserve les lunettes du passé. D’où ce renversement complet de perspective : on est désormais prêt à sacrifier une partie de sa carrière pour « réussir » sa vie privée.

La « crise du sens » est donc aussi l’expression d’une crise de l’avenir que traversent l’ensemble des sociétés occidentales en ce premier quart de siècle. La seule façon d’en sortir consiste à retrouver des raisons de croire en l’avenir. Et, par voie de conséquence, à redonner du sens aux efforts individuels. Cela devrait être aujourd’hui la mission principale des entreprises.

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Informations pratiques

  • 19/07/2023

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