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Tribunes

La culture du travail « à la française » est-elle anti-télétravail ?

La crise sanitaire, si elle a créé un chaos généralisé, a aussi contribué à accélérer des mutations en cours. Le monde du travail en est un excellent exemple.

Avant même que les gestes barrière ne deviennent une seconde nature, le télétravail cheminait déjà, poussé par l’agilité permise par les technologies et l’autonomie croissante des salariés. Selon une étude conduite par Malakoff Médéric Humanis[1], 29% des salariés français déclaraient télétravailler en 2018, un pourcentage en hausse de 4 points par rapport à l’année précédente.

Lorsque les mesures sanitaires nous ont confinés dans nos canapés, le télétravail est devenu la norme pour beaucoup. Une étude réalisée par Sociovision pour l’Observatoire de la qualité de vie au travail Actineo/Ameublement français[2], auprès des actifs de 5 grandes métropoles (Amsterdam/Rotterdam/La Haye, le Grand Londres, Paris/ RP, San Francisco/Seattle et Singapour), la proportion de télétravailleurs est passée de 21% avant l’arrivée du Covid, à 83% au plus fort de la crise sanitaire.

Les contraintes liées à cette situation inédite ont donc permis à beaucoup d’expérimenter le travail à distance, y compris lorsque leur entreprise y était a priori réticente. Car si beaucoup de salariés français avaient déjà télétravaillé avant la crise, c’était souvent de façon très occasionnelle.

En France, quand on travaille chez soi, on est vite soupçonné de ne pas travailler. Dans l’étude internationale citée plus haut, un des principaux freins au télétravail, après les tâches qui ne s’y prêtent pas (26 %), serait « un employeur qui y est peu favorable », selon 36% des répondants travaillant à Paris et ses alentours. C’est 7 points de plus que la moyenne des salariés interrogés. Différentes sources montrent que, pour limiter le télétravail, les Directions se retranchent derrière les risques liés à la sécurité des outils informatiques ou invoquent le poids des contraintes administratives. Mais plusieurs études pointent aussi la réticence de l’encadrement de proximité. Par exemple, la part des managers favorables au télétravail recule (de 55% en 2018 à 50 % fin 2020, selon la 4ème édition du Baromètre annuel Télétravail de Malakoff Humanis.

Ces chiffres interrogent… Est-ce une question de culture ? Plus précisément, une difficulté culturelle à faire confiance ?

C’est fort possible. Toujours en prenant les résultats de l’étude Sociovision/Actinéo, lorsque l’on projette les salariés des différentes métropoles sur un mapping à deux dimensions, dont l’une est l’autonomie individuelle (mesurée par le pourcentage d’affinité avec la phrase Dans mon travail, je suis libre de m’organiser comme bon me semble, ex : horaires de travail, télétravail ou travail en présentiel, etc.) et l’autre, l‘informalité de l’atmosphère de travail (mesurée par l’affinité avec la phrase Je travaille dans une ambiance détendue et informelle), on constate que, tandis que les salariés de San Francisco / Seattle caracolent en tête sur les deux dimensions, les salariés de Paris / Région parisienne sont parmi les plus faibles sur l’une comme l’autre. Dommage, car le fait de se sentir à la fois autonome dans son travail et d’avoir l’impression d’évoluer dans une ambiance informelle est fortement corrélé à un niveau élevé de satisfaction au travail. Et, incidemment, avec un niveau de confiance élevé entre management et collaborateurs, qui s’incarne dans un processus de décision plutôt collectif que « top down » et – ô surprise – une vision positive du travail à distance par l’entreprise.

L’étude Sociovision/Actineo a aussi demandé aux salariés ce qu’ils souhaitaient pour le futur. Dans toutes les zones, France comprise, le pourcentage de salariés désireux de télétravailler avoisine ou dépasse les 80%. La plupart des salariés estiment que 2 à 3 jours de télétravail par semaine est la juste dose, mais 14% souhaiteraient passer 100% de la semaine en distanciel. Ce dernier pourcentage culmine dans les métropoles où confiance et autonomie sont au plus fort. La boucle est bouclée.

Généralisé pendant la crise Covid, le télétravail va obliger les entreprises à se réinventer : redéfinition des politiques internes, investissement dans les infrastructures numériques et, bien sûr, réorganisation des espaces de bureaux. Mais certains vont souffrir, car cela prend la culture de surveillance à la française à rebrousse-poil. La généralisation du travail à distance implique davantage de subsidiarité, c’est-à-dire une combinaison harmonieuse de zones d’autonomie individuelle bien définies et de management véritablement participatif. Mais qui dit une organisation subsidiariste dit confiance… et c’est justement le point sur lequel les organisations à la française ont encore à progresser.

 

[1] Télétravail : regards croisés salariés et dirigeants, Enquête online ifop/ Malakoff Médéric Humanis auprès d’un échantillon représentatif de 1.604 salariés (dont 581 managers) et 401 dirigeants d’entreprises d’au moins 10 salariés. (Novembre-décembre 2018)

[2] Où et comment travaillerons-nous demain dans les grandes métropoles ?, Enquête online Actineo/Ameublement français  en partenariat avec Maison&Objet et Colliers auprès de 2 600 actifs de 5 grandes régions métropolitaines (Amsterdam/Rotterdam/La Haye, Grand Londres, Paris/RP, Singapour et San Francisco/Seattle) (Février 2021).

 

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