Tribunes

Quelle santé après deux ans de pandémie ? Les 7 paradoxes de la santé des Français

Un bilan sociologique après deux ans de covid

Depuis deux ans, la santé occupe le centre de l’actualité. Pas un jour ne passe sans que les mots de « virus », « médecin », « maladie », « soignant », « laboratoire » et bien d’autres, ne soient prononcés. Cette omniprésence ne va pas sans paradoxes. D’un côté, les Français ont progressé dans leur expertise de la santé et certains, d’ailleurs, ont la ferme intention d’utiliser leurs connaissances fraîchement acquises au cours des années à venir. De l’autre, une partie de la population se défie plus que jamais du système et des professionnels de santé, et regardent d’un œil critique les laboratoires ou les vaccins.

Après deux ans de pandémie, c’est donc une population divisée dans son rapport à la santé qui se dessine, à l’image d’une société fragmentée sur de nombreux sujets. Loin d’avoir réconcilié les Français, la crise sanitaire a révélé la relation ambigüe et paradoxale que ceux-ci entretiennent avec leur propre santé. Les enquêtes menées par Sociovision tout au long de ces deux années de pandémie en témoignent et permettent, en forme de bilan, d’identifier sept paradoxes.

Paradoxe 1 : La plupart des Français optimistes en pleine pandémie

Malgré un climat général anxiogène, le regard des Français sur leur propre santé n’a pas varié au cours des deux années écoulées. De 2020 à 2021, en effet, celui-ci est resté très positif. Ainsi, en 2020, 77% des Français se déclaraient optimistes pour leur santé pour les douze mois à venir. Un an plus tard, leur nombre était toujours de 78%. En fait, les Français ont exprimé beaucoup plus d’inquiétudes pour leur situation financière, leur avenir professionnel, leur vie sociale ou leurs projets personnels. Autrement dit, et c’est un paradoxe, la plus grande partie de la population a craint surtout pour ses revenus ou son travail et beaucoup moins pour sa santé.

Ce décalage souligne la singularité de cette pandémie. Une grande partie des activités sociales ont été mises à l’arrêt ou ralenties par la circulation du virus, mais la majorité de la population n’a pas redouté les effets négatifs de la pandémie sur son propre état de santé. Seule une minorité (22%) – la partie la plus fragile – s’est sentie réellement menacée.

Paradoxe 2 : les Français, des malades qui s’ignorent… ou qui surestiment leur santé

Le deuxième paradoxe explique en partie le premier. En effet, dans les enquêtes, les Français se déclarent très majoritairement en bonne santé alors même qu’en réalité ils souffrent de nombreux maux. En effet, invités en juillet 2021 à décrire leur état de santé, 21% d’entre eux le considèrent comme « très bon », 46% le jugent « bon » et 25% « assez bon ». Seule une toute petite minorité de 9% le considèrent comme « mauvais ». Soit 91% de bien portants. Mais la réalité est un peu différente. Dans la même enquête, interrogés sur les maux dont ils souffrent, la liste de ceux-ci est particulièrement longue. Entre ceux qui souffrent de douleurs musculaires (34%), de stress (29%), d’insomnie (25%), de fatigue physique (24%) ou de surpoids (21%) – pour ne citer que les pathologies les plus répandues – la part de ceux qui déclarent ne souffrir de rien n’est que de 17%.

Tout se passe comme si les Français avaient tendance à minimiser leurs maux. Le cas de l’obésité est de ce point de vue un cas d’école. Après reconstitution de l’IMC des personnes interrogées dans l’enquête, on observe clairement qu’une part non négligeable de ceux qui en souffrent ne le reconnaissent pas. Cette relativisation, valable pour de nombreuses autres pathologies, expliquerait qu’ils se déclarent en bonne santé, tout en étant affectés de maux qu’ils sous-estiment. Cette dernière observation fait irrésistiblement penser à la tirade du docteur Knock, le personnage de Jules Romains : « Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore. »

Paradoxe 3 : des réfractaires au vaccin… qui se vaccinent massivement

Le troisième paradoxe est bien connu. En janvier 2021, 1% des Français étaient vaccinés. En ces débuts de campagne de vaccination, 50% des Français déclaraient ne pas avoir l’intention de se faire vacciner. Six mois plus tard, 66% sont vaccinés et 20% seulement sont encore réticents. Depuis, la proportion de récalcitrants a encore fondu.

Autrement dit, les Français d’abord réfractaires, se sont massivement vaccinés. Leur premier mouvement de refus n’a donc pas été prédictif de la suite. Sur un sujet de santé publique majeur, ils se sont rendus aux arguments des professionnels de santé ou ont fini par plier face à la stratégie gouvernementale.

Paradoxe 4 : des jeunes, adeptes du principe de précaution

Depuis près de deux ans, les jeunes acceptent sans broncher de porter le masque. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les 15-24 ans jugent à 28% que le masque est « une bonne chose mais son usage doit être limité à certaines situations », à 36% qu’on « devrait tous en porter un dans l’espace public en période de pandémie » et à 31% qu’on « devrait porter un masque même lorsque l’épidémie sera terminée dans certaines situations ». Seule une toute petite minorité de 5% affirme qu’il n’est pas nécessaire d’en porter un ! Les chiffres sont rigoureusement mêmes pour la population générale. Le fait que les jeunes ne se singularisent pas de la moyenne est en soi une singularité. Car ce fait remet en cause une certaine imagerie romantique de la jeunesse rebelle qui nous aurait plutôt fait imaginer des chiffres moins élevés.

Cette attitude responsable de la jeunesse souligne autant la spécificité de la maladie (les jeunes souhaitent protéger leurs grands-parents d’un virus particulièrement contagieux) que la particularité de cette génération. Depuis son plus jeune âge, en effet, celle-ci est soumise aux messages de précaution du PNNS (le plan national nutrition santé). De ce point de vue, la crise du covid constitue une sorte de mise en pratique de principes entendus et assimilés depuis deux décennies.

Paradoxe 5 : les plus mal portants doutent du bien-fondé des professionnels de santé

Les enquêtes montrent que c’est au sein des milieux les plus modestes que les taux d’incidence de la plupart des pathologies contemporaines sont les plus élevés (stress, douleurs musculaires, fatigue physique, obésité et surpoids, insomnie, dépression…). Malgré cet état de santé moins bon que la moyenne de la population, c’est au sein des mêmes milieux que la défiance à l’égard des professionnels de santé est la plus grande. 48% des personnes appartenant aux classes populaires reconnaissent avoir de moins en moins confiance dans les vaccins (à comparer à seulement 20% dans les milieux aisés). Et les jugements négatifs à l’égard des médecins ou des laboratoires sont également plus répandus dans les milieux populaires que dans le reste de la population. Ce qui aboutit à un paradoxe qui devrait faire l’objet d’une priorité de la santé publique : les personnes qui ont le plus besoin de soins et de prévention sont aussi celles qui s’en défient le plus.

Paradoxe 6 : l’augmentation des pratiques préventives n’empêche pas la progression des maladies

La pandémie a amplifié la tendance des Français à adopter des comportements préventifs. Ainsi, ceux qui déclarent veiller régulièrement à avoir une alimentation saine et équilibrée sont passés de 51% en 2010 à 66% en 2021. De même, ceux qui disent faire de l’exercice régulièrement sont passés de 21% en 2010 à 37% en 2021. Et ceux qui vont régulièrement voir un professionnel de santé de manière préventive sont passés de 17% en 2009 à 28% en 2021. C’est une bonne nouvelle pour la prévention. Pourtant de nombreuses « maladies de civilisation » (obésité, diabète, maladies respiratoires liées à la pollution, stress…) ont progressé dans le même temps et, selon l’OMS, sont appelées à progresser encore au cours des dix prochaines années.

Cette contradiction apparente traduit une société de plus en plus polarisée entre des milieux sociaux où les comportements préventifs sont de plus en plus intégrés et des milieux où l’on refuse la prévention soit par insuffisance de présence médicale, soit par défiance à l’égard des professionnels de santé.

Paradoxe 7 : la santé, une affaire de jeunes

Un cliché largement répandu fait de la santé un sujet pour personnes âgées. Ce sujet envahirait la conversation à partir d’un certain âge et marquerait, en quelque sorte, l’entrée dans la vieillesse. Les chiffres montrent une tout autre réalité.  60% des femmes âgées de 15 à 24 ans et 65% de celles âgées de 25 à 34 ans avouent « parler souvent de sujets de santé avec leur entourage ». Ce chiffre tombe à 43% chez les femmes de plus de 55 ans. La santé est davantage discutée chez les jeunes générations de filles et de garçons.

C’est évidemment un signe que les temps changent et la confirmation qu’une nouvelle génération est en train d’émerger, plus attentive à sa santé et disposant de très nombreuses options, des applis aux médecines alternatives, en passant par les solutions naturelles.

Une santé à plusieurs vitesses

Au fond, ces paradoxes nous éclairent sur l’évolution en profondeur de la société. Pour résumer, trois phénomènes majeurs s’affirment simultanément. D’abord, il y a une sous-estimation dans une partie de la population des problèmes de santé. Cela crée un enjeu de prévention pour les années à venir. Le deuxième phénomène est le risque de polarisation accru entre une partie de la population qui non seulement se soigne mais ne cesse d’augmenter son niveau de prévention – les milieux plutôt aisés et urbains – et une partie de la population qui tourne le dos à la prévention et au savoir scientifique. Enfin, et c’est une bonne nouvelle en matière de santé publique, la jeune génération est plus soucieuse de son capital de santé que les générations précédentes. De ce point de vue la pandémie a sans doute renforcé une tendance observable depuis plusieurs années.

Source : L’ensemble des chiffres sont extraits des vagues 2020 et 2021 de l’Observatoire France de Sociovision, une filiale de l’Ifop. Depuis 1975, cette enquête interroge chaque année un échantillon représentatif de la population française de 6 000 personnes sur leurs valeurs, leurs modes de vie, leurs aspirations, leurs comportements, etc.

Observatoire Santé

[WEBINAR – SOCIOVISION / AplusA] La santé des Français à l’ère Covid : entre fierté et défiance zoom sur 7 paradoxes

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